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Souvenirs en chantier

Publié: 17 septembre, 2023 dans Écriture, Bonheur, famille
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En s’inspirant d’une photo tirée du compte Pinterest de Gharib Makld, écrire un court texte, juste pour le plaisir d’écrire.

Je tenais fermement le petit doigt de la main rugueuse de Grand-Papa, tandis que nous marchions tous les deux lentement sur le trottoir bordant d’immenses édifices qui nous bloquaient les rayons du soleil. En levant la tête pour observer le sommet des gratte-ciels, je fut pris de vertige. C’était tellement haut, si impressionnant. Mes jambes auraient voulues aller plus vite, mais je me retenais, parce que Grand-Papa aime toujours prendre son temps. C’est le secret pour vivre longtemps, me répétait-il souvent. « En prenant son temps, on apprécie davantage chaque moment vécu et du même coup on évite ces gestes empressés et maladroits qui provoquent trop souvent les accidents ». Moi, j’étais juste trop impatient de voir cette gigantesque machine qui ressemblait, selon Grand-Papa, à un énorme bête de somme métallique bien dressée et déplaçant ici et là de lourdes charges pour construire toujours plus haut les tours d’habitation.

Grutier toute sa vie, Grand-Papa adorait me parler de son travail et me raconter ces moments de plaisir intense qu’il ressentait à voir le monde de là-haut. On se sent comme un Dieu, me disait-il, devant ces minuscules créatures qui s’agitent tout en bas, dans un silence assourdi et à peine troublé par le sifflement du vent contre la cabine. En prenant de la hauteur, on s’éloigne aussi des tracas quotidiens, on retrouve plus facilement sa sérénité, sa capacité à voir plus loin que le bout de son nez et à prendre les bonnes décisions.

– Tu verras, m’avait-il dit, d’en bas, on distingue à peine l’opérateur et pourtant lui, voit tout. Il peut agir avec une précision impressionnante, parce qu’avec le temps et l’expérience, les différentes parties de sa grue deviennent une extension de son propre corps, comme tes jambes à toi lorsque tu marches. Tu ne dis pas à ta jambe, lève-toi et marche, tu te contentes de décider où tu veux aller et tes jambes exécutent les ordres. C’est la même chose pour un grutier.

En approchant, on vit au loin, la gigantesque grue qui bougeait lentement dans le ciel. « Regarde, la cabine Simon, on voit le grutier avec son casque jaune ». Grand-Papa lui envoya la main, comme on salue un collègue, mais on ne vit pas l’opérateur lui répondre en retour. « Il est sans doute trop concentré sur sa tâche », me dit Grand-Papa.

Le site était protégé par une haute clôture tout autour du périmètre. Il y avait ici et là, des fissures percées dans la paroi par des curieux. « Regarde par celle-ci », me dit Grand-Papa en désignant une ouverture à ma hauteur. En m’approchant, je vit le chantier. Il y avait un immense trou, comme un cratère de volcan au fond duquel il y avait des tonnes de poutres d’acier entrecroisées. Plusieurs travailleurs portant des casques jaune ou blanc s’agitaient. Une poutre d’acier était en mouvement au bout de la grue, retenue en son milieu par un gros crochet à l’extrémité d’un long câble d’acier.

– Tu vois Simon, Ils ont débuté la structure des premiers étages. Ces immenses poutres et colonnes d’aciers servent de colonne vertébrale pour tenir solidement l’édifice en place. C’est important qu’elles soient installées à des endroits précis, puis assemblées et solidement fixées par l’équipe de construction. Chacun a son rôle à jouer. Regarde celui-là, avec un casque blanc et un walkie-talkie à son oreille. Il est en contact radio avec le grutier pour le diriger et lui indiquer où poser la poutre.

En effet, lentement, la poutre fut amenée et posée délicatement à l’extrémité de deux colonnes verticales, où des travailleurs, tout près se mirent aussitôt à l’œuvre pour la fixer. Puis, après un certain temps, les travailleurs donnèrent un OK pour libérer la poutre toujours retenue par la grue (pour des raisons de sécurité me dit Grand-Papa) et comme un pêcheur, le grutier remonta légèrement le fil d’acier et l’éloigna des travailleurs. Nous sommes resté là de longues minutes à observer les activités du chantier. Grand-Papa était fasciné et semblait nostalgique. Quand il ne dit rien et ne m’explique plus les choses, je sais qu’il a la cœur gros. Parfois, je sais qu’il pense à Grand-Maman, mais là, je me doutais qu’il pensait à son ancien travail.

C’était la première fois qu’il m’amenait voir un chantier. J’aime bien quand Grand-Papa me fait visiter toutes sortes de lieux, m’expliquant des choses. Parfois, on va juste aller chez lui, tous les deux pour passer du temps ensemble. Je lui raconte comment ça se passe à la maison, à l’école, qui sont mes amis, les jeux que j’aime le plus. Il m’écoute, me questionne et je me sens important. Aussi, il nous prépare souvent du chocolat chaud, dans une petite casserole sur la cuisinière. Il laisse le lait chauffer, mais jamais bouillir. Puis, quand c’est bien chaud, il verse du cacao et brasse le tout jusqu’à ce que ça soit bien mélangé. Ensuite, il le verse dans deux tasses, toujours les mêmes. Lui, sa tasse avec la photo de Grand-Maman et moi, celle qui a un petit chien. Parfois aussi, je reste pour la nuit. Il y a un petit lit, en haut, dans la chambre grise et c’est toujours là que je dors. Grand-Papa me laisse une veilleuse pour que je n’ai pas peur et je m’endors facilement, même si je ne suis pas chez moi. Le lendemain matin, il me prépare un déjeuner, avec des œufs, du bacon, des toasts au beurre de pinotte. Ensuite, il me ramène à la maison. J’aime beaucoup Grand-Papa. C’est un peu comme un ami, mais en plus vieux. Les grandes personnes me grondent quand je ne fais pas bien les choses, jamais Grand-Papa. Lui, se contente de m’expliquer.

En rentrant de l’école, le vendredi suivant, Maman pleurait. Je ne comprenais pas pourquoi.

– Qu’est-ce qu’il y a Maman, pourquoi tu pleures?

Elle s’approcha de moi, se mit à la hauteur et me pris dans ses bras.

– C’est Grand-Papa, Simon, il a eu une crise cardiaque tout à l’heure et quand l’ambulance est arrivée, il était trop tard.

– Quoi? Grand-Papa est mort?

– Oui, Simon, je suis désolée.

Sur le coup, Je ne ressenti rien de particulier, j’étais juste surtout troublé de voir Maman pleurer. Je montai à ma chambre pour déposer mon sac d’école et m’installai sur mon lit pour réfléchir. Grand-Papa était mort. ça voulait dire que c’était fini les sorties avec lui, les soirées juste nous deux. Je ne le reverrai plus. Plus jamais. Jamais! Toutes sortes d’images se mirent à déferler dans ma tête, la dernière fois où je l’avais vu, nos parties de cartes, de Yum, nos rires synchronisés quand il me racontait une blague et éclatait de son rire communicatif, m’entraînement dans un cascade de rigolade à en oublier pourquoi on riait. Tout à coup, les larmes me vinrent aux yeux et je senti une boule se former au fond de ma gorge. M’assoyant sur le bord de mon lit, je m’essuyai les yeux et me pris la tête entre les mains. Je pensai à notre sortie, la semaine dernière. Lorsqu’il m’avait ramené à la maison, nous nous étions assis ensemble derrière la maison, près de la piscine et il m’avait demandé comment j’avais apprécié ma journée au chantier, comment ça lui avait rappelé son travail qu’il aimait tant.

J’eus alors envie de retourner sur cette chaise près de la piscine où nous étions tous les deux la semaine dernière. Je sorti et m’installai en regardant les reflets de l’eau, perdu dans mes pensées. Une feuille portée par le vent me tomba dessus. Je regardai le ciel et fit un signe de la main. Il ne me répondit pas, mais j’étais persuadé que de là-haut, il voyait tout maintenant.

– Merci Grand-Papa, je t’aime.