Curieux contraste que d’être dans un cimetière par une si belle journée de printemps. Marchant, le long du canal de Chambly, ce matin-là, j’étais entré dans le petit cimetière en bordure du chemin, pour examiner de plus près cet énorme Jésus en croix au bout de l’allée.
On l’avait repeint en partie et à mon avis, de couleurs un peu trop vives. On avait tout repeint, sauf les bras, restés blanchâtre, ce qui donnait un curieux mélange de présence et d’absence de vie.
Je me suis assis quelques minutes sur le banc de pierre, dos à la croix, prenant la mesure de l’instant et appréciant le calme de l’endroit. Le soleil pointait à l’est, m’innondant de lumière et les oiseaux chantaient effrontément leur joie de vivre. Dans une église, une bibliothèque ou un cimetière on n’ose pas élever la voix ou rire à gorge déployée, mais les oiseaux, eux, n’ont pas cette réserve. Les bourgeons naissant aux branches des arbres m’ont tout à coup rappelé le cycle de la vie, fait de deuils et de naissances.
Reprenant mon chemin, mon attention fut attirée par une pierre un peu à l’écart et passablement enfoncée dans le sol. Elle était visiblement là depuis longtemps. On n’y distinguait plus très clairement le nom de l’épouse de Louis Corneau et j’ai dû dégager un peu la terre pour y lire celui de Luce Mineau. J’aurai pu gratter davantage pour savoir quand elle était décédée, mais ça m’aurait paru déplacé. La terre a certains droits. 50 ans après le décès de Louis, la plupart de ceux qui l’ont connu sont probablement allés le rejoindre. Cette pierre n’est plus entretenue, personne ne s’en préoccupe et elle s’enfonce toujours un peu plus dans le sol.
Qui étaient Louis Corneau et sa belle Luce Mineau? Louis est mort en 1956 à l’âge de 81 ans et sans doute avant sa Luce, puisque son nom apparaît au-dessus. Peut-être ont-ils eu des enfants, aujourd’hui décédés eux-aussi, pour la plupart. J’ai fouillé un peu internet, question de voir si des souvenirs de l’un ou l’autre étaient toujours présents quelque part et je n’ai rien trouvé. Comme la pierre sur laquelle leur nom est écrit, les souvenirs aussi s’enfoncent progressivement dans l’oubli.